Les rues ne sont pas encore remplies de partisans, les affiches de campagne ne couvrent pas encore les murs, mais les cœurs, eux, sont déjà serrés. Car en Côte d’Ivoire, parler d’élections, c’est convoquer les souvenirs d’un passé douloureux, des morts de 2010 aux têtes tranchées de 2020 à Daoukro. Le ton est donné. À quelques mois du scrutin, les discours se durcissent, les invectives fusent, et la politique retrouve son visage le plus tribal, le plus clivant. Les chaînes de télévision, les réseaux sociaux, les rues des quartiers populaires ou cossus: partout, les mots deviennent des armes. Et dans ce vacarme politique, la population se tait, inquiète, suspendue à un fil. « Qu’est-ce qui va encore nous arriver ? », chuchotent les mères à leurs enfants, « Où irons-nous si ça dégénère ? », s’interrogent les jeunes à l’avenir déjà incertain. La psychose est bien réelle. Elle n’est ni un fantasme ni un pessimisme gratuit. Elle est le fruit d’une histoire encore fraîche, d’un tissu social qui n’a jamais été recousu depuis 1995, 2000, 2002, 2010, 2020. Le pardon a été proclamé, mais jamais vécu. Les plaies ont été recouvertes, mais non soignées. Chaque élection ravive alors la peur du chaos, la possibilité du pire. Ce qui s’installe aujourd’hui dans l’esprit des Ivoiriens, c’est un sentiment d’impuissance. Une impression que, malgré les promesses de paix, les dialogues politiques, les réconciliations officielles, le cycle de la violence est toujours prêt à se répéter. Comme si les dés étaient déjà pipés. Comme si les urnes étaient des boîtes de Pandore. À qui la faute ? Aux leaders politiques qui, au lieu de pacifier, attisent les braises pour galvaniser leurs bases. À un système judiciaire parfois silencieux face aux discours de haine. À une société civile encore trop faible, trop absente dans les moments décisifs. Et peut-être aussi à chacun de nous, quand nous choisissons le camp avant le pays, l’ethnie avant la nation. Mais tout n’est pas perdu. Il reste quelques mois. Quelques mois pour changer le ton, pour désarmer les mots, pour bâtir une paix durable non pas sur les cendres du passé, mais sur la vérité, la justice et le respect de l’autre. Il appartient aux leaders d’élever le débat. Aux institutions de garantir un processus transparent. Et au peuple, surtout, de ne pas se laisser prendre au piège de la haine recyclée. La peur est là, mais elle ne doit pas triompher.
Les Ivoiriens méritent mieux qu’un scrutin sous tension. Ils méritent un vote libre, paisible, digne. Ils méritent de croire que 2025 peut être différent. À condition que chacun prenne ses responsabilités, maintenant.
EKRA DENIS
Donnez votre avis