Ce texte est un hommage à Jorge Mario Bergoglio, le cardinal argentin qui a succédé à l’Allemand Joseph Ratzinger alias Benoît XVI à la tête de l’Etat du Vatican et inventeur de la charmante et dynamique « mondialisation de l’indifférence ». Le lundi 21 avril dernier, le Pape François a fermé définitivement yeux, mains, bouche et coupé toute respiration. Il a rejoint Dieu-le-Père. Si le monde entier reconnaît qu’il laisse un immense héritage, il n’est pas superfétatoire de sortir de cet ensemble, qu’il porte son humanité en bandoulière et son extrême sensibilité se lit sans difficulté aucune sur son visage.
Le 8 juillet 2013, face à un désastre humain provoqué par des naufrages de nombreuses embarcations contenant des migrants africains qui disparaissent par milliers, François a surpris le monde des humains, lors de sa visite à Lampedusa en Italie, en interpellant l’humanité sur un sujet de débat d’ordre politique, social et philosophique. « Nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle… La culture du bien-être, qui nous amène à penser à nous-mêmes, nous rend insensibles aux cris des autres, nous fait vivre dans des bulles de savon, qui sont belles mais ne sont rien ; elles sont l’illusion du futile, du provisoire, illusion qui porte à l’indifférence envers les autres, et même à la mondialisation de l’indifférence ».
Puis, comme s’il tenait à marquer son passage sur terre avant d’aller au ciel, François tente de porter l’estocade : « Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence. Nous sommes habitués à la souffrance de l’autre… cela ne nous intéresse pas ! »
Si le verbe du Pape François ne dépeignait pas une triste situation humaine, on l’aurait acclamé des mains et poussé des hourras par « François, François, François ! ». Convaincu que nous sommes à la recherche d’une humanité durable, à travers cette vive interpellation urbi et orbi, le Pape des moins nantis espère que le monde prendra vite la décision de sortir de la mondialisation de l’indifférence. Mais l’homme de Dieu n’a pas été entendu.
Et comme il n’est pas homme à baisser les bras à la moindre bravade, le natif de Buenos Aires a récidivé dix années plus tard, le 22 septembre 2023, à Marseille en France, lors d’un de ses nombreux périples. Le chef de l’Etat du Vatican a fait monter le mercure, passant du substantif « indifférence » à celui de « fanatisme » pour évoquer le honteux silence du monde vis-à-vis du drame migratoire. « Nous ne pouvons plus assister aux drames des naufrages provoqués par les trafics odieux et le fanatisme de l’indifférence. Ces personnes qui risquent la noyade lorsqu’elles sont abandonnées en mer doivent être secourues. C’est un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation ». François s’en est allé sans avoir eu la ferme certitude que la Méditerranée ne serait plus « un immense cimetière » où « est ensevelie la dignité humaine ».
Vous voulez la preuve ? Elle est en vous, chez vous, auprès de vous, chez le voisin et partout. Elle est surtout dans les yeux des bambines et bambins, ces jeunes enfants et nourrissons palestiniens de Gaza, couchés ici et là, encore vifs ou tués atrocement par des bombes et autres missiles du voisin. Elle se trouve aussi dans les images photographiées par les yeux de malades, qu’ils soient hommes, femmes, enfants, bébés, handicapés et qu’ils viennent des institutions onusiennes, d’ONG, de Médecins sans frontières, de bénévoles ou de simples habitants de la ville.
Là-bas, tout se passe comme si Gaza n’était peuplé que de sous-hommes tarés, des bons pour la mort comme des mouches. C’est-à-dire, « des sous-humains, voire des moins qu’humains, voire des animaux nuisibles (bêtes sauvages), voire des parasites (poux) » que, selon l’excellente démonstration de l’enseignant de philosophie Michel Juffé, une hiérarchie de la valeur des vies humaines établie à placer au bas de l’échelle.
Ils sont des victimes visibles de ce que François dénonce avec vigueur et courage : l’indifférence mondialisée. De 2013, date de la naissance de cette belle création papale à ce mois de mai 2025, douze années ont passé. Mais aucun changement au tableau de l’indifférence fanatique mondialisée. Chaque jour, la laideur couvre notre planète, poussant la beauté dans les tréfonds les plus ténébreux. Ce monde est laid !
Le philosophe Juffé croit savoir les origines d’une telle démesure. Pour lui, cette indifférence qui choque tant les consciences humanistes relève du fanatisme en ce qu’elle « n’est pas spontanée, mais cultivée par des préjugés dévalorisants, eux-mêmes fondés sur les croyances totalisantes, du genre : « l’Afrique n’est pas entrée dans l’histoire » ; « l’islam est une religion de la violence » ; « les Juifs sont déicides » ; « le bon Indien est un Indien mort ».
Heureusement que patienter et surmonter les obstacles les uns après les autres font partie de l’activité humaine dans le but d’atteindre un objectif. L’objectif ici, on le voit bien, est de sortir de la logique de la mondialisation de l’indifférence par l’action qui doit suivre les paroles. Il est vrai qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, il est vrai que le chemin entre un projet et son aboutissement peut être long, mais l’attente, pensons-nous, a été trop longue. Le temps est venu de voir en l’autre, soi-même. C’est le gage de l’équilibre humain et la mort de la stratification des humains.
Et avec Mgr Yves Le Saux, Evêque du Mans, crions ensemble : « Nous sommes comme dans un désert, une désertification spirituelle. Mais dans le désert, justement, on redécouvre la valeur de ce qui est essentiel pour vivre ». Car, dans le cœur de tout homme, il y a une aspiration à plus grand, à plus beau.
Et ce monde ne serait plus laid ! Et les humains ne massacreraient plus les humains. Et une partie de l’humanité ne serait plus classée au bas de l’échelle selon une hiérarchie biaisée de la valeur des vies humaines. Et cette partie des hommes et des femmes ne serait plus traitée de « moins qu’humains ». Et les humains n’enverraient plus loger leurs semblables dans des cimetières. Et à celles et ceux qui n’auraient pas le courage de regarder les images filmées par les yeux des bébés victimes de ces atrocités sans précédents, de suivre mon regard.
Abdoulaye Villard Sanogo
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