Cette mesure d'interdiction des 2 et 3 roues, malgré sa portée sociale, va porter préjudice à une partie
Le ministère des Transports a fait savoir, le mardi 6 mai 2025, qu’un nouveau dispositif de circulation destiné à améliorer la sécurité routière sur le boulevard Félix Houphouët-Boigny, plus connu sous le nom d’ex-VGE, sera mis en œuvre. À partir donc du 15 mai 2025, l'accès aux voies principales de cet axe majeur sera interdit aux motos, tricycles et vélos, entre le carrefour Aboussouan à Treichville et celui de l’ancien Koumassi.
Cette mesure prise par la direction générale des transports terrestres et de la circulation (DGTTc), s’inscrit, selon elle, dans une stratégie de lutte contre les comportements dangereux sur la route. L’autre objectif est de désengorger ce tronçon souvent embouteillé et théâtre d’accidents impliquant fréquemment des véhicules à deux ou trois roues. Si pour les décideurs, cette mesure a une portée sociale, il n’en demeure pas moins que les avis sont partagés sur le terrain.
Des avis partagés
Un conducteur de tricycle que nous avons interrogé espère qu’une alternative sera trouvée pour faciliter son travail : « C’est sur cette voie que je travaille. Si je ne peux plus y circuler, ça sera compliqué pour moi et je serai obligé de ranger mon engin. Il faut que les autorités trouvent une solution pour mes collègues et moi car c’est de ça que nous vivons ». Un peu plus loin, vers le carrefour Ancien Koumassi, un usager d’engin à deux roues qui emprunte le boulevard Félix Houphouët-Boigny pour se rendre au travail, comprend certes les enjeux de cette décision, mais il souhaite un autre itinéraire. « Si cela peut sauver des vies et réduire les bouchons, je suis pour. Mais il faudra bien informer les usagers et proposer des itinéraires clairs pour les motos ». Ibrahim Sy, ressortissant d’un pays de la sous-région ouest-africaine, dit résider à Gonzagueville mais a son magasin de vente de pièces détachées à Treichville. Lui, soutient être dans l’incapacité d’acheter une voiture. En plus, il se dit plus mobile et réactif avec sa moto. Lui interdire de circuler sur le boulevard Félix Houphouët-Boigny portera forcément un coup à son activité. « J’ai le permis A exigé pour conduire un engin à deux roues. Je connais donc le code de la route. J’ai également tous les documents afférents à ma moto. Quel est donc le problème ? », s’interroge-t-il. Ajoutant : « je dois être réactif dans mon travail. Car, en plus de vendre des pièces détachées, je les livre moi-même. Si je dois faire des détours, alors que les clients sont très souvent pressés, je risque de perdre ces derniers ». La solution, selon lui, est d’être très exigeants envers les conducteurs d’engins à deux roues en leur exigeant le permis de conduire et en mettant en fourrière celles qui n’ont pas de pièces et dont le conducteur n’a pas de permis.
De son côté, Dame Akissi A., automobiliste, soutient cette décision de la DGTTc. Elle pense que cette mesure a trop tardé avant d’être prise. « C’est une bouffée d’oxygène pour nous les automobilistes. Chaque jour ; on les (moto et engins à trois roues) voit entrain de zigzaguer entre les véhicules. Ils ne respectent aucun feu tricolore. Comme s’ils ne les concernaient pas. A plusieurs reprises, j’ai failli heurter certains. Les accidents de la circulation entre voitures et motos ne manquent jamais sur ce boulevard. Je pense que c’est décision arrive à point nommé », affirme-t-elle.
Selon des statistiques du ministère des Transports, les engins à deux et trois roues représentent entre 45 % et 50 % des accidents de la circulation et sont responsables de 37 % des décès survenus sur les routes entre 2023 et 2024. On dénombre environ 400 000 engins de deux à trois roues dans le district d’Abidjan. Dans la nuit du 31 décembre 2024, entre 7 et 10 accidents impliquant ces derniers ont été recensés.
Oumar Sacko, directeur général du transport terrestre et de la circulation, soutenait, en mars dernier, que l’objectif n’était point d’exclure les engins à deux et trois roues de la circulation à Abidjan mais plutôt de garantir la sécurité des conducteurs.
Entre nécessité sécuritaire et défi social
Cette mesure s’inscrit dans une dynamique plus large de réorganisation urbaine et de modernisation du réseau routier abidjanais. Le boulevard Félix Houphouët Boigny, axe structurant de la capitale économique, concentre un flux élevé de circulation mêlant voitures particulières, poids lourds, taxis et une quantité croissante de deux-roues souvent non immatriculés. L’interdiction des voies centrales aux motos vise à réduire les conflits d’usage, souvent à l’origine d’accidents graves.
Cependant, cette stratégie soulève aussi des enjeux sociaux majeurs. Une partie non négligeable de la population urbaine dépend des deux-roues pour se déplacer ou gagner sa vie. Sans accompagnement suffisant - formation, financement de reconversion, ou aménagement d’itinéraires alternatifs - cette mesure pourrait accroître la précarité dans un secteur déjà informel.
Le défi pour le gouvernement consistera donc à équilibrer impératifs sécuritaires et préoccupations sociales, afin d’éviter que cette réforme, bénéfique en théorie, ne devienne source de tension sur le terrain. La réussite du dispositif dépendra largement de la concertation avec les parties prenantes et de la capacité des autorités à en garantir l’application de manière juste et progressive.
Modeste KONE
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